Quelle retraite avec 128 trimestres ?

RĂ©soudre le flĂ©au du chĂ´mage de masse tout en accĂ©lĂ©rant la transition Ă©cologique de la sociĂ©té : c’est ce que proposent HĂ©misphère Gauche et l’Institut Rousseau, deux jeunes laboratoires d’idĂ©es qui viennent de lancer leur campagne « Un emploi vert pour tous ».

Le CICE : un coût de 280 000 euros par emploi créé

« L’habitude du chĂ´mage nous fait parfois oublier combien il est absurde. C’est ainsi que commence l’Ă©tude publiĂ©e par HĂ©misphère Gauche et l’Institut Rousseau. Ces deux jeunes laboratoires d’idĂ©es, rĂ©unissant des volontaires dĂ©terminĂ©s Ă  lutter contre l’un des mythes fondateurs de notre temps, proposent d’introduire une garantie d’emploi vert inspirĂ©e de l’expĂ©rimentation des Territoires ZĂ©ro ChĂ´meurs de Longue DurĂ©e.

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Apparu dans les annĂ©es 1970 après le choc pĂ©trolier, le chĂ´mage de masse est aujourd’hui considĂ©rĂ© comme une fatalitĂ©. Depuis 40 ans, son taux se situe entre 8 et 10 % de la population active française : au troisième trimestre de 2020, il a atteint 9%, soit 2,7 millions de personnes.

Il s’agit de donnĂ©es de l’INSEE, mais d’autres chiffres reprĂ©sentent 3,8 millions de demandeurs d’emploi, plus 2,2 millions de travailleurs occupant un emploi prĂ©caire.

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Dans cette nĂ©buleuse, les chĂ´meurs de longue durĂ©e, c’est-Ă -dire tous ceux qui ont Ă©tĂ© privĂ©s d’emploi depuis plus d’un an, reprĂ©senteraient 1 Ă  3 millions de personnes, selon que les estimations de l’Insee ou du PĂ´le Emploi sont choisies.

« Ce sont tellement de personnes qui sont dĂ©dommagĂ©es pour ĂŞtre malheureuses Ă  la maison alors qu’elles pourraient contribuer au bien commun », explique Alexandre Ouizille, porte-parole de la campagne « Des emplois verts pour tous » et prĂ©sident de l’hĂ©misphère gauche. Pour la sociĂ©tĂ©, le chĂ´mage a un coĂ»t social et Ă©conomique très Ă©levĂ©. Les finances publiques sont mobilisĂ©es sans que la situation ne soit satisfaisante pour personne.

» En 2015, le mouvement ATD Quart Monde estimait que l’Etat dĂ©pensait environ 15 000 euros chaque annĂ©e pour chaque personne privĂ©e de façon permanente de son emploi. ReportĂ© sur l’ensemble du territoire, ce montant s’Ă©lèverait donc Ă  environ 36 milliards d’euros par an, mais il n’inclut pas tous les coĂ»ts indirects : prestations familiales soumises aux conditions de ressources, rĂ©ductions tarifaires, perte de bĂ©nĂ©fices fiscaux…

De plus, comment Ă©valuer les dommages causĂ©s par l’inactivitĂ© et l’isolement aux individus ou Ă  la sociĂ©té ? L’âme humaine Ă©chappe aux statistiques…

En quatre dĂ©cennies, aucun gouvernement n’a rĂ©ussi Ă  Ă©radiquer le chĂ´mage de masse. L’Ă©tude hĂ©misphère Gauche et l’Institut Rousseau classent les tactiques françaises en deux catĂ©gories : les politiques dites passives, qui consistent Ă  « attĂ©nuer les effets du chĂ´mage » (compensation, soutien, prĂ©retraite) et les politiques actives visant Ă  « crĂ©er ou sauver des emplois » (allĂ©gement fiscal, rĂ©duction du travail temps, rĂ©formes lĂ©gislatives, etc.).

Parmi ces dernières, la France a rĂ©cemment introduit le fameux CompĂ©titivitĂ© et Emploi CrĂ©dit d’impĂ´t (CICE), un avantage fiscal accordĂ© aux entreprises pour encourager l’embauche de nouveaux employĂ©s. Au moment de son entrĂ©e en vigueur, les employeurs et le gouvernement ont promis un million d’emplois supplĂ©mentaires en cinq ans.

Mais en fin de compte, la CICE n’a pas « crĂ©Ă© de 100 000 Ă  160 000 emplois entre 2013 et 2017, pour un coĂ»t total de 28 milliards d’euros, soit environ 280 000 euros par emploi », indique l’Ă©tude, qui se rĂ©fère Ă  la StratĂ©gie France.

Ce bilan dĂ©cevant des politiques d’approvisionnement contraste fortement avec le succès des contrats dits aidĂ©s, drastiquement rĂ©duits par le gouvernement d’Édouard Philippe en 2018, lorsqu’ils ont financĂ© plus de 400 000 emplois, pour quelque 3 milliards d’euros de dĂ©penses publiques. Bref, des dogmes bien ancrĂ©s empĂŞchent l’appareil d’État de rĂ©soudre le problème du chĂ´mage.

« Le droit d’obtenir un emploi est une promesse constitutionnelle. Il apparaĂ®t dans le prĂ©ambule de la Constitution, dans le bloc constitutionnalitĂ©, supĂ©rieur Ă  tous d’autres règles de droit. Cela signifie qu’il a un potentiel inexploitĂ©. Mais cela ne se traduit que par un droit Ă  ne pas ĂŞtre licenciĂ©. Maintenant, nous devons faire cette promesse vivante en donnant un travail concret Ă  ceux qui sont privĂ©s.

» Selon HĂ©misphère Gauche et l’Institut Rousseau, la reconnaissance du droit fondamental Ă  l’emploi pourrait renverser notre rapport au chĂ´mage de masse, nous amenant Ă  ne plus l’accepter.

Des emplois verts pour tous : une reconstruction Ă©cologique et sociale rĂ©ussie Sur la base de l’observation que « personne n’est inemployable », que « bon nombre des besoins de la sociĂ©tĂ© ne sont pas satisfaits » et que nous ne manquons pas d’argent (comme le montre le CICE), les deux laboratoires proposent de mettre en Ĺ“uvre une politique de « garantie de l’emploi ».

Promue par de nombreux Ă©conomistes (comme Aurore Lalucq, Dany Lang et Pavlina Cherneva lors d’un forum mondial en novembre), cette politique prendrait la forme d’un financement direct de l’emploi par le public autoritĂ©s, avec la prioritĂ© pour les personnes privĂ©es d’emploi depuis plus que jamais. d’un an.

Il s’agirait de transformer les dĂ©penses sociales du chĂ´mage en salaires. AppliquĂ©e Ă  2,8 millions de personnes versĂ©es au SMIC, cette mesure nĂ©cessiterait environ 41 milliards d’euros par an, un montant qui absorberait — il faut dire – les dĂ©ductions et crĂ©dits d’impĂ´t actuels. Le coĂ»t serait donc Ă©gal ou infĂ©rieur Ă  l’argent investi aujourd’hui dans la lutte contre le chĂ´mage.

Pour crĂ©er des emplois, l’Etat s’appuierait sur les Ă©cosystèmes locaux et en particulier les communautĂ©s, les employeurs publics et privĂ©s, les syndicats, les centres d’emploi et les missions locales, Ă  toutes ces fins connaisseurs des territoires, comme le dit Alexandre Ouizille, qui sont en mesure d’identifier ensemble les besoins qui ne sont pas satisfaits et constituent un maillage disponible, compĂ©tent et volontaire.

Mais la vĂ©ritable originalitĂ© de la campagne « Emploi vert pour tous » rĂ©side dans le type d’emplois ciblĂ©s et la façon dont ils pourraient ĂŞtre crĂ©Ă©s. Une politique de garantie de l’emploi serait le meilleur moyen d’accĂ©lĂ©rer la transition Ă©cologique de la sociĂ©tĂ©.  »

Depuis 2017, la France mène une expĂ©rience intitulĂ©e « Territoires zĂ©ro chĂ´meurs de longue durĂ©e » : dans dix micro-territoires de 5 000 Ă  10 000 habitants, l’Etat s’est occupĂ© de 100 Ă  200 chĂ´meurs de longue durĂ©e en renversant l’approche habituelle. Au lieu de demander des offres spĂ©cifiques, les candidats se sont appuyĂ©s sur des acteurs locaux, qui ont Ă©tudiĂ© leur territoire, mobilisent l’ensemble de l’Ă©cosystème Ă  la recherche de ses besoins non satisfaits.

« Et c’est un succès ! se rĂ©jouit du prĂ©sident de l’hĂ©misphère gauche. Sur les dix petits bassins oĂą l’expĂ©rimentation a eu lieu, trois ont dĂ©jĂ  atteint l’intĂ©gralitĂ©, c’est-Ă -dire qu’il n’y a plus de chĂ´meurs depuis plus d’un an.

» Comme preuve, en décembre 2020, le régime a été étendu à 50 nouveaux micro-territoires. La campagne « Des emplois verts pour tous » propose de le diffuser progressivement, multipliant les zones par 5 tous les deux ans.

Ainsi, les 6 700 « petits bassins » de la France seraient couverts par 2027 et 650 000 emplois crĂ©Ă©s. Le coĂ»t s’Ă©lèverait Ă  20.000 euros par personne et par an, dix fois moins que les 200 000 euros de la CICE…

Grâce aux acteurs locaux, ces travailleurs pourraient ĂŞtre orientĂ©s vers des « emplois verts » requis par la transition Ă©cologique actuelle. Les gardes forestiers, les employĂ©s de la rĂ©novation thermique des bâtiments, les pĂ©pinières, les recycleurs, les rĂ©parateurs, les compositeurs, les agriculteurs, etc., les collectivitĂ©s et les entreprises qui cherchent Ă  s’Ă©cologiser ont besoin d’une masse salariale encore inexploitĂ©e.

C’ est pourquoi, outre l’extension du programme des territoires zĂ©ro chĂ´meurs de longue durĂ©e, l’Ă©tude suggère de financer 250 000 emplois verts sur le modèle des contrats assistĂ©s.

« Tous les experts environnementaux nous disent que la contribution humaine dans certains secteurs devra de toute façon augmenter », a déclaré Ouizille. Les emplois verts encourageraient les acteurs économiques à passer à la reconstruction écologique. Ce qui était auparavant considéré comme un effet de marché devient un incitatif à la transition.

En ciblant les professions nĂ©cessaires Ă  la reconstruction Ă©cologique et au renforcement des liens sociaux, la garantie de l’emploi ferait donc deux grèves d’une pierre. L’argent investi par l’État servirait le bien commun et contribuerait Ă  l’Ă©conomie au lieu de nourrir l’appĂ©tit toujours croissant de certaines entreprises, qui captent systĂ©matiquement les fonds publics. Mais peut-ĂŞtre avec le « plein emploi vert », une certaine armĂ©e de rĂ©serve manquerait alors ?  »

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